Il y a très longtemps que j’ai rencontré Fred Perrin. Je devais lui faire une présentation du maniement du tonfa et je ne le connaissais pas du tout. J’ai beaucoup apprécié à l’époque sa gentillesse et son écoute attentive et ce n’est qu’après cet échange que j’ai appris sa réputation grandissante dans le domaine du maniement du couteau.
De loin en loin, nous nous sommes croisés avec plaisir tandis que son aura devenait internationale. Plus récemment, il était présent à l’un de mes stages à Mâcon avec Elsa sa compagne et tous deux s’entraînaient sans ménager leur peine. Il est assez rare de voir un type de ce niveau se mettre en danger dans le stage d’un autre. Cela m’a beaucoup plu.
Nous avons pris le temps d’échanger et nous sommes quittés avec la promesse de nous revoir bientôt. Je viens donc de passer deux jours avec ce couple généreux et j’en ai profité pour lui poser quelques questions.
Eric Quequet
Salut Fred. Dans le milieu de la self-défense, tout le monde te connais de nom, pour tes recherches sur le combat au couteau et pour tes créations et fabrication de couteau. J’ai eu l’occasion de constater récemment que tu savais faire plein d’autres choses. Quel est ton champs d’action au juste ?
Mon métier est avant tout artisan coutelier forgeron. Il consiste à réaliser des couteaux, tant par la forge que par abrasion, mais aussi à designer et rechercher tout ce qui se rapporte à la réalisation d’outils tranchants et d’armes blanches. Cela inclue les armes d’impact, l’étude de l’histoire des armes et outils tranchants. Une partie essentielle et très méconnue de mon travail repose sur l’usage et les tests de nombreux couteaux, dans un large panel d’activités, me permettant de faire évoluer mes designs et de concevoir des modes de port.
Dans cette logique, je me suis aussi construit une grande culture à travers la pratique de nombreux styles d’arts martiaux, de sport de combat et je suis venu à la défense personnelle. Dans ces nombreux domaines, j’ai aussi fait beaucoup de recherches historiques, notamment sur les arts européens et français (livres de référence par Jean Joseph Renaud, Claude Dubois, Emile André). Tous ceci m’a conduit à étudier des techniques liées au travail de nombreuses armes et à maîtriser différentes distances de combat. L’ensemble de ces recherches mises bout à bout couvrent la pratique de la self au sens large.
Enfin, les armes à feu sont un autre de mes domaines de compétence. Passionné depuis l’enfance et issue d’un milieu où elles n’étaient pas taboue, j’ai pu manier très tôt un grand nombre d’armes différentes. Dans ce domaine aussi, j’aime l’aspect historique et technique. Je me suis donc beaucoup documenté. Mon premier passage dans l’armée m’a confirmé l’étendue de mes capacités que j’ai eu la chance de pouvoir peaufiner à travers mon travail avec les forces de l’ordre et les unités militaires.
Aujourd hui, grâce à l’ensemble de ces connaissances, je suis capable d’enseigner et de conseiller dans de multiples domaines comme la protection personnelle, la préparation au voyage et la conception de matériel pour ces activités.
J’ai remarqué que tu savais synthétiser ton enseignement de façon très claire. D’où te vient ce goût pour la pédagogie ?
Enseigner c’est montrer, démontrer et corriger les techniques que tu présentes. Je pars du principe que si la restitution par les élèves n’est pas là, c’est avant tout que l’on a pas utilisé les bons outils pour transmettre le message. Enseigner à un large panel de personnes avec des parcours différents et des buts parfois opposés est une perpétuelle remise en question : ce que tu enseignes à des femmes, des hommes, des civils ou des soldats ne peut pas être similaire, car leurs besoins ne sont pas identiques.
J’ai beaucoup appris de ces expériences qui me passionnent toutes autant, car le but de mon enseignement est de révéler aux gens aussi différents soient ils leur propre potentiel. Transmettre à mes proches m’a permis de comprendre que ce qui est évident ne l’est souvent que pour soi. Ces personnes, bien que très proches de toi, ne sont pas devins, il te faut malgré tout trouver le moyen d’expliquer ce que tu veux transmettre.
Avec le temps et grâce à la pratique de nombreuses activités sportives ou professionnelles et des rencontres qui en découlent, j’ai affiné ma pédagogie, ainsi que les outils que j’utilise pour finir par avoir mon propre type d’enseignement. Tout en sachant que celui ci restera perfectible et évolutif.
Une autre chose m’a interpellé chez toi, c’est ton habileté à « penser différemment des autres ». Tu as toujours des « trucs » plein de bon sens, en marge des modes et des dogmes. Comment cultives-tu cela ?
Je pense que c’est en partie dû à mon parcours. Je suis avant tout un civil et un pratiquant. Malgré mes interactions au sein de différentes forces étatiques, je n’ai pas suivi de formation donnée par une institution ou une fédération sportive.
Je n’ai pas de grade ni de diplôme d’enseignant. Ce que beaucoup considèrent comme une lacune, j’essaie d’en faire une force : si tu as une formation bien cadrée, tu travailles avec ce qu’on t’a donné et qui fonctionne (parfois plutôt bien il faut le dire), mais tu peux vite oublier d’être créatif, tu peux aussi être déstabilisé si tes jolis outils pédagogiques ne fonctionnent pas.
C’est rarement la faute des élèves qui ne comprennent pas, et plus souvent le problème de l’enseignant qui ne trouve pas la bonne formulation. Pour ma part, j’essaye de me projeter dans les besoins de mes élèves, d’imaginer leur vie, de visualiser le résultat qu’ils souhaitent obtenir. Je tiens à faire le maximum de leurs activités avec eux et à comprendre dans quel cadre ils travaillent.
Par exemple, si je dois enseigner à des personnes qui travaillent dans un night club, je vais y passer du temps, pour pouvoir prendre en compte les divers paramètres (public, lieu, loi,etc) qui leur sont propres. Quand j’arrive à identifier la spécificité de leur milieu, je prends beaucoup de plaisir à étudier les diverses possibilités de réponse : l’évidente, la facile, l’improbable, voire la farfelue. C’est là que ma créativité entre en jeu, et que le fait de ne pas être « pollué » par le formatage d’un cadre institutionnel prend toute sont importance. Je peux me mettre dans la peau des méchants parce qu’on ne m’a pas réduit à l’état de gentil. Je ne suis pas non plus prisonnier d’une hiérarchie, je ne cherche pas l’approbation d’un grand maître, je suis libre d’avoir l’esprit complètement ouvert et dans le plaisir de me servir de cette liberté pour trouver des solutions.
Elsa, ta compagne, pratique également les sports de combat, la self-défense et forge (admirablement bien). C’est pas trop dur d’avoir de la concurrence à la maison ?
Ahahah, ça motive !!! C’est un support de tous les instants, un formidable laboratoire pour juger des idées de la pédagogie. Elsa est aussi la personne qui me pose des questions que les autres n’oseront pas formuler. Sa vision et son expérience sont une valeur ajoutée énorme, elle m’aide aussi à ne pas trop partir dans tous les sens et à organiser mon chaos (c’est le prix que tu paye quand tu n’as pas reçu de formation, tu pars en tous sens).
Fais-tu des stages ? On ne te voit pas beaucoup ! Les gens peuvent-ils faire appel à toi ? Comment te contactent-ils ?
Oui, j’enseigne à travers des stages, de manière régulière à Paris ou sur demande. On peut aussi prendre rendez-vous et venir me voir à l’atelier. J’admets que je communique peu. Je suis d’une autre génération qui, pour avoir accès au savoir qu’elle voulait devait chercher dans des livres, chez des professeurs, en France, à l’étranger. Pour ma part, durant près de 30 ans, cela a aussi construit mon parcours.
Je pense que chercher fait parti du chemin, et je ne suis pas à l’aise face à l’évolution du milieu de la self dans la communication. Je considère peut être à tort que pour ceux qui veulent me contacter, ce n’est pas si dur : je suis sur Facebook et mon mail est dans de nombreux articles : fperrinconcept@gmail.com.
Merci Eric pour ces questions et ton intérêt pour mon travail.
Merci Fred