×

Entretien avec Eric Quequet sur la défense contre couteau

Bonjour Éric. Peut-on se défendre efficacement face à un couteau ?

Cela dépend déjà de la motivation de l’agresseur. Est-il venu pour vous tuer ? Dans ce cas-là, il va mettre toutes les chances de son côté, dissimuler l’arme pour arriver près de vous et vous attaquer sans vous laisser de chance. Se sert-il du couteau pour vous menacer ? Dans ce cas, il vaut mieux lui donner ce qu’il veut si sa demande reste acceptable. Parfois l’agresseur va vouloir vous laisser une trace pour affirmer sa toute puissance.

Bref, tout cela reste terriblement aléatoire. Le couteau est une arme qui se dissimule très bien, qui crée de gros dégâts sans que le porteur de l’arme ait besoin d’une quelconque formation préalable. La meilleure stratégie à mon sens est bien sûr d’éviter au maximum d’avoir à se confronter avec un agresseur armé. Cela semble évident mais je remarque au cours des formations professionnelles que j’anime qu’un grand nombre de gens lors de mise en situation tente spontanément d’intervenir à mains nues sur un agresseur armé… et prend des coups de couteau d’entrainement en guise de vaccin !

Quel genre de problématique rencontre-t-on ?

Outre le stress engendré par la plupart des situations de confrontation, une des principales problématiques concerne le repérage de l’arme. En situation de tension, on tend à focaliser son attention sur le visage de l’agresseur. J’en veux pour preuve les témoignages des victimes de braquage que j’interrogeais quand j’étais policier, ils avaient beaucoup de mal à donner un signalement et la plupart parlaient du regard de l’agresseur parce qu’il leur avait fait très peur.

Après le repérage (ou non) de l’arme se pose le problème de la distance et du terrain. A quelle distance est-il de moi, est-il fixe ou se déplace-t-il vers moi ? Est-ce que je peux fuir ?

Une autre question peut rentrer en ligne de compte si je ne peux pas fuir : qu’ai-je à disposition pour le tenir éloigné de moi ? Une chaise ? Je peux tourner autour d’une voiture en criant pour alerter les passant ? Une ceinture pour tenter de le tenir à distance ?

Si je n’ai pas vu arriver l’attaque et que je ne suis pas encore mort, cela veut dire que l’agresseur est près de moi et qu’il ne va pas être aisé de fuir. Il me semble que le mieux serait d’immobiliser le membre qui tient l’arme, le problème c’est qu’il bouge et que l’agresseur ne va pas vouloir se laisser faire comme à l’entrainement. De plus, il est plein d’adrénaline et son seuil de douleur est très élevé, il peut en outre avoir consommé de l’alcool ou de la drogue. Il y a donc grand danger et peu de chances de s’en tirer indemne.

Vaut-il mieux dévier le coup et frapper, ou agripper le bras porteur de l’arme ?

Dévier le bras pose le problème du « et après ? ». Le bras bouge très vite et la main porteuse de l’arme encore plus. Quand je dévie, j’ai également le risque de me planter quand même, ce risque existe aussi pour l’attaquant d’ailleurs. Immobiliser l’arme me semble le plus sûr à condition d’en avoir l’opportunité et de s’y être entrainé. Vous n’aurez pas trop de vos deux mains pour immobiliser le bras armé. Mais que faire après ? Il ne faut pas qu’il puisse changer l’arme de main par exemple et il faut le frapper de façon efficace dans des zones sensibles voire vitales pour survivre. C’est très très chaud !

A combien estimez-vous les chances de survie ?

Très faibles et sans être blessé quasi nulles…

Quel type de coup porte un agresseur ?

Ça dépend de l’arme, de ce qu’il veut (intimider ou tuer) et de son expérience. Sur les rapports de police, j’ai vu majoritairement des attaques en pique. J’ai subi une attaque au couteau qui était en pique également (4 cm dans le genou gauche) et vu une personne se faire tuer sous mes yeux en pique au ventre. J’ai vu quelque fois des slatchs (coupures profondes) sur la joue et entendu parler de slatch à la carotide (mortelle).

Certains disent qu’il vaut mieux fuir, est-ce la meilleure solution ?

Dans l’ordre des priorités face à l’agression j’aime beaucoup cet adage « Mieux vaut éviter que fuir » « Mieux vaut fuir qu’avoir à négocier » « Mieux vaut vaut négocier que se battre » « Mieux vaut se battre que mourir ». Je ne sais plus qui a écrit cela, mais c’est sûrement quelqu’un qui avait beaucoup d’expérience. Je rajouterai cependant que parfois il vaut mieux se soumettre que de mourir, notamment quand on est menacé par un agresseur armé. Ce n’est pas forcément facile de fuir, d’un point de vue psychologique d’abord, la personne ayant du mal à décrocher s’expose dangereusement. Mais on oublie aussi que d’un point de vue physique ce n’est pas forcément aisé non plus, il faut savoir organiser ses appuis pour faire volte face, couvrir sa fuite en faisant tomber du mobilier par exemple pour ralentir le poursuivant et sprinter en étant en plus capable de franchir des obstacles, ce qui requiert une bonne condition physique.

Dans les salles d’entrainement, on s’aperçoit que les pratiquants fuient en regardant l’agresseur, et parfois fuient à reculons. Posez-vous la question de savoir combien de mètres vous pourriez faire ainsi en environnement urbain (passants, trottoirs, voitures, bancs, etc). Quand on choisit de fuir c’est que l’on veut s’éloigner rapidement d’un danger et pour cela il n’y a rien de mieux que la position de sprint.

Comment incorporer des exercices utiles en entrainement ?

A mon avis, il faut jouer le réalisme : insultes, cris, dialogue viennent occuper le cerveau tandis que les attaques seront portées « sauvagement » quitte à avoir des protections. Systématiser le recours à une analyse rapide sur la distance qui nous sépare de l’agresseur et les opportunités de fuir ou de saisir une arme par destination. Et enfin faire du combat en corps à corps debout et au sol avec une arme et des combats armes par destination versus arme blanche. Je précise que lors de ces affrontements, les protagonistes pourront se servir des autres membres pour porter les coups.

Je pense qu’il est aussi très utile d’incorporer discrètement des couteaux dans des combats à mains nues, on s’habitue trop à des formes sportives de combat. Faire rentrer un couteau dans la danse changera la donne, surtout si on ne l’a pas dit à l’adversaire. Ça lui apprendra à percevoir les signes annonciateurs d’une sortie d’arme et lui mettra à jour la hiérarchie des priorités : ne pas jouer mais survivre indemne.

Propos recueillis par François Bouvier, Responsable du secteur Ile-de-France, Président ADAC 75 et Dassault